FRUITYS / Carle

Poiriers centenaires et autres fruits

Loriol-sur-Drôme (26)

partenariat depuis : 1989
dernière visite : 21/09/2020

Au confluent des vallées du Rhône et de la Drôme se trouve le domaine familial des Carle. Cʼest le lieu et lʼoccasion dʼune nouvelle visite — lʼunique quʼil nous sera donné de faire en 2020. Sous un ciel changeant et quelques ondées, nous parcourons les vergers. La grisaille fait ressortir le rouge des fruits et le vert soutenu des feuillages. Comme souvent, lʼétendue des cultures dépasse celles concernées par notre partenariat : la visite nous permet dʼen apprendre d'avantage et de saisir les activités du domaine dans sa globalité. Les arbres les plus représentés ici sont les pêchers, nectariniers et abricotiers, les pommiers et les poiriers. On cultive également dʼautres arbres (cerisiers, pruniers, kaki, kiwi) et des céréales ou protéagineux pour la rotation des cultures.
Lʼhistoire de Carle Fruit Nature rappelle celle des Clot, installés plus haut dans le Vercors, où nous passions en juin 2019 — une histoire de famille où, dans les années 1970, lʼorientation du père vers une agriculture biologique sʼest faite décisive.

Cʼest donc Robert Carle, le papa dʼYvan et Jocelyn qui nous reçoivent, qui prendra la parole pour remonter le fil de lʼhistoire. Un coup de téléphone sʼimpose avec Gérard Corvaisier, papa de Mathieu Corvaisier avec lequel le partenariat entre les deux entreprises a débuté. Pendant que papotent les générations pionnières du bio, nous dégustons un jus de poire (du vrai jus et non pas du nectar, comme Yvan le soulignera plus tard). De la marque "Terres de Saint Martin" , les jus sont commercialisés par FRUITYS, la société commerciale qui achète, conditionne et transforme les fruits produits par Carle Fruit Nature.
Au moment des présentations, lʼémotion est plus que palpable. Les inflexions des voix accusent la complexité de vies où les charges professionnelles sʼentrechoquent avec les aspirations personnelles. Comment trouver lʼéquilibre avec le privé, comment garder la tête froide quand on est pris par les calendriers des cultures et des récoltes ?

Pour Jocelyn, tout le système pousse à la spécialisation. Sʼil nʼy avait que les pommiers, il y aurait une contre-saison pour pouvoir se reposer. Mais cette apparente facilité serait un sérieux risque encouru : la monoculture ne laisse pas droit à lʼerreur, une mauvaise année pourrait être fatale (il suffirait d'un coup de gel ou d'une mauvaise pluie sur la floraison). Sans compter que la diversité des cultures est à la base de l’agriculture biodynamique qu’ils pratiquent. Les frères en conviennent : lʼéthique nʼest pas là où se situe le rendement. Ainsi, les tâches sʼenchainent suivant une liste établie sur un fichier excel — nécessaire pour sʼy retrouver, et lʼannée file à toute allure. Quand les pommes finissent dʼêtre commercialisées, on voit déjà apparaître les petits fruits, fragiles, sur les pêchers. C'est déjà là que se joue toute la saison.
Les deux frères alternent entre fruits à pépins et fruits à noyaux et se partagent le travail entre lʼaspect commercial et la conduite des cultures.

Le verger est plutôt le terrain de Jocelyn, qui nous détaille les étapes de son travail, notamment celles qui précèdent la pousse du fruit, auxquelles on ne pense pas toujours.
Savoir que le grand-père a planté des arbres qui sont aujourdʼhui vieux de près de 100ans « ça fait quelque chose ». Nous apprenons que sur les étals des 3B, nous avons la chance dʼavoir eu la Williams de 95ans. Les poiriers sont la fierté de la famille. Peut-être parce quʼils sont capricieux et intermittent « le poirier cʼest spécial » dira Robert Carle. Alors que la tendance est à la simplification, cʼest une culture qui se fait rare car elle est très technique ; il nʼest pas simple de la maintenir lorsqu'on ne choisit pas la spécialisation. Le bassin en était grand producteur par le passé (20 à 40000 tonnes de fruits par an) et il ne reste aujourdʼhui presque plus rien.
Dans les chambres froides, lʼodeur fraîche et douce des poires sʼengouffre dans nos narines. Des fruits récoltés aux fruits livrés, cʼest au tour dʼYvan de nous faire la visite : stockage, nettoyage, tri, calibrage, mise en caisse. Le système dʼatmosphère contrôlée (AC) permet de conserver la pomme pendant plusieurs mois. En réduisant la quantité dʼoxygène, on oblige le fruit à respirer plus doucement et à se préserver : son rythme ralentit, la fraîcheur et le croquant sont conservés. On peut ainsi "faire la boucle" : en consommer tout au long de lʼannée ou, au moins, jusqu'à l'arrivée des fruits à noyaux, en juin. Et donc éviter dʼimporter des fruits de lʼautre bout du monde !
Au centre du bâtiment trône la calibreuse autour de laquelle sʼaffairent quelques employés. Ils sont 10 au minimum et jusqu'à 4x plus en haute saison. Les hangars ont été entièrement re-configurés suite à un incendie. Lʼorganisation des espaces est désormais en adéquation avec les étapes de mise en valeur du fruit, de la récolte jusquʼau quai dʼenlèvement.
Yvan pointe ceci : que les caisses passent de mains en mains, formant une chaîne du cueilleur au commerçant. Tous sont « dans le même bain » y compris face à la crise sanitaire ; tous ont besoin dʼêtre satisfaits de leur saison ; tous ont cette même intention de nourrir le client avec un produit qui sera apprécié ; quʼils sauront apprécier. Par le biais de leurs fruits, cʼest un terroir quʼils souhaitent offrir.
La chasse aux nuisibles semble sans fin. En patients observateurs, Jocelyn et Yvan multiplient les expérimentations et aboutissent souvent à des astuces. Mais il nʼest pas rare quʼarrivent dʼautres ravageurs qui nʼétaient pas prévus (les changements climatiques nʼaident pas). Les Carle privilégient les méthodes de luttes biologiques, faisant appel aux prédateurs : nichoirs à oiseaux, à chauve-souris, à chouettes. Ils pensent même installer une mare et des poules dans leurs vergers. Plus quʼune lutte, cʼest aussi une contribution à la conservation de paysages équilibrés et harmonieux.

Alors tout simplement : bravo !